2 juin 2023
Le nouveau ministre de l'éducation

OPINION : Le nouveau ministre de l’éducation a déjà donné une leçon sur le problème racial en France

Après seulement une semaine en tant que ministre de l’éducation, Pap Ndiaye nous a déjà donné un aperçu de l’attitude des Français vis-à-vis de la race.

La France n’est pas nécessairement plus raciste que les autres pays. Selon mes observations, elle est moins raciste que les États-Unis mais plus subtilement raciste que la Grande-Bretagne.

La nomination au poste de ministre de l’éducation d’un éminent historien noir – et, pire, d’un historien de la « négritude » – a mis en lumière les préjugés ethniques grossiers de l’extrême droite française et d’une partie de la droite française.

Il a également mis en évidence les girations, et les hypocrisies, des croyants en la religion d’État officielle et non officielle de la France : la foi en une République unique, « laïque et indivisible », dans laquelle tous les citoyens sont « égaux devant la loi ».

Depuis 2018, la Constitution française nie l’existence de la race. Le mot a été excisé de l’article premier de la constitution de la Vème République au motif que nous sommes tous des êtres humains et que l’idée de « race » est elle-même raciste.

Pour cette même raison bien intentionnée, il est illégal de collecter des statistiques basées sur la race en France depuis 1978.

Voulez-vous savoir comment les enfants noirs se débrouillent dans le système scolaire public ? Ou quelle est la situation moyenne des Noirs en France ? S’ils sont plus susceptibles que les Blancs d’être au chômage ? Ou d’être envoyés en prison ?

Il vous est interdit de savoir l’une ou l’autre de ces choses. Si vous collectez et publiez de telles statistiques (à quelques exceptions près), vous êtes passible d’une peine de prison de cinq ans et/ou d’une amende pouvant atteindre 300 000 euros.

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Pap Ndiaye, le nouveau ministre de l’éducation, pense que cette règle est erronée. Elle masque les réalités sociales, dit-il ; elle alimente également les fantasmes des racistes.

De même, il s’est opposé à la suppression du mot « race » de la constitution française. La race n’existe peut-être pas scientifiquement, dit-il, mais les préjugés raciaux ou la conscience raciale existent. Tant que cela est vrai, les personnes noires et brunes doivent être protégées par la Constitution.

Ndiaye estime également que, dans certaines circonstances, la discrimination positive en faveur des minorités raciales est justifiée.

Il a participé à la rédaction d’un rapport sur l’Opéra de Paris, qui suggérait que l’absence quasi totale de visages – de corps et de voix – non blancs dans les grandes compagnies françaises d’opéra et de ballet ne pouvait être corrigée que par une action directe.

Depuis sa nomination inattendue au poste de ministre de l’éducation vendredi dernier, les opinions de Ndiaye ont été utilisées, et détournées, par la droite et l’extrême droite pour le dépeindre comme un « racialiste », un « communautariste » ou un « indigéniste ».

Pour ne donner qu’un exemple, voici un tweet de Philippe de Villers, censé être le visage de l’extrémité la plus respectable de l’ultra-droite catholique, mais désormais compagnon de route du xénophobe Eric Zemmour.

« La nomination de Pap Ndiaye à l’éducation est un tournant historique. Le racialisme a pris le pouvoir. Emmanuel Macron est passé à l’étape suivante : il s’est rendu à l’ennemi intérieur qui veut nous dé-coloniser et nous coloniser. »

C’est absurde mais pas surprenant. La droite française – et pas seulement l’extrême droite – a toujours du mal à accepter des personnes intelligentes, fortes et noires au gouvernement. Christiane Taubira, lorsqu’elle était ministre de la justice de 2012 à 2007, s’est fait jeter des bananes, non pas par des lepénistes mais par de jeunes catholiques opposés au mariage gay.

Cependant, la nomination de Ndiaye a également provoqué l’inquiétude de la gauche ultra-républicaine et ultra-laïque. Jean-Pierre Chévènement, l’ancien ministre socialiste de l’intérieur, estime que les opinions publiées par le ministre de l’éducation sont incompatibles avec son nouveau poste. Selon M. Chévènement, le système éducatif public est censé promouvoir l’idéal de la France en tant que République « indivisible ».

C’est très bien comme ça. L’État laïque et indivisible est important pour l’identité nationale française. Il est souvent mal représenté à l’étranger (notamment dans les pays islamiques et dans la partie libérale des médias américains).

L’État laïque français est une garantie d’égalité et de liberté de culte. C’est aussi une garantie de la liberté d’être différent, tant que vous ne refusez pas cette liberté aux autres.

Je pense que les tentatives d’Emmanuel Macron de freiner l’avancée des formes radicales et séparatistes de l’islam, bien que parfois maladroites, sont justifiées. Je ne suis pas sûr qu’il faille y inclure la répression du « burkini ».

Faut-il considérer le « body » islamique de bain comme une menace pour les droits des femmes ou comme une affirmation du droit de certaines femmes à s’habiller, ou à se déshabiller, différemment ?

Et pourtant, Pap Ndiaye a également raison. La religion d’État laïque bien intentionnée de la France contribue parfois à cacher le type de discrimination qu’elle est censée abhorrer.

Il y a une hypocrisie institutionnalisée à interdire les statistiques raciales parce que tous les Français sont égaux, alors qu’ils ne le sont manifestement pas. Il y a également une hypocrisie institutionnalisée à nier l’existence d’un racisme institutionnel au sein de la police française.

Le président Emmanuel Macron pourrait bien avoir choisi Pap Ndiaye pour des raisons de tactique électorale. Il espère peut-être atténuer les accusations de la gauche selon lesquelles il est « raciste » et se soucie peu des luttes des banlieues multiraciales.

Il a peut-être pensé qu’il était temps de s’éloigner du laïcisme radical de son ancien ministre de l’éducation, Jean-Michel Blanquer, et de son ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin.

Il s’agit tout de même d’une nomination courageuse et passionnante. L’éducation, en particulier dans les « banlieues » multiraciales et dans les zones rurales de la France blanche, est l’un des plus grands défis auxquels ce gouvernement et les gouvernements futurs devront faire face.

Les Français de toutes les races devraient souhaiter bonne chance à Ndiaye. Il a pris un bon départ en visitant le collège de la banlieue ouest de Paris où le professeur d’histoire Samuel Paty a été décapité par un terroriste islamiste en octobre 2020.

Lors de sa visite à Conflans-Saint-Honorine, le nouveau ministre de l’Éducation a promis de défendre les valeurs « universelles » et la promesse d’une chance pour tous offerte par la République française « indivisible ».

Il ne l’a pas dit lors de sa visite, mais les précédents écrits de Ndiaye suggèrent que « universel » et même « indivisible » peuvent, et doivent, englober la différence et reconnaître la discrimination.

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