Les Français sont notoirement fiers de leur langue et plusieurs organismes existent pour la protéger de la menace imminente des mots et expressions anglaises – mais est-il jamais réellement illégal d’utiliser l’anglais en France ?
Avez-vous déjà remarqué l’utilisation sournoise d’un anglicisme dans les publicités en France ?
Vous en avez peut-être vu une vous encourageant à découvrir une nouvelle application de rencontre qui vous aidera à éviter le ghosting. Eh bien, si vous regardez attentivement, vous devriez également voir un petit avertissement – une traduction en français rappelant aux lecteurs que le ghosting est en fait la disparation.
De même, la nouvelle campagne publicitaire de Ricard, « Born à Marseille », rappelle aux téléspectateurs que « born = né ».
Cette petite note n’est pas seulement destinée à aider les non-anglophones, c’est aussi une obligation légale.
Quelle est cette loi ?
La loi du 4 août 1994 est également appelée « loi Toubon », en hommage au ministre français de la culture de l’époque, qui aurait déclaré que « le droit au français est un droit fondamental ».
Cette loi a été adoptée dans le but de préserver la langue française en tant qu' »élément fondamental de la personnalité et du patrimoine de la France ».
Plus précisément, elle réglemente et exige l’utilisation du français dans l’enseignement, le travail, le commerce et les services publics. Elle est surtout connue pour ses tentatives de répression de l’usage du franglais dans l’espace public, mais elle couvre l’usage de toutes les langues et vise à préserver le français et à donner à chaque Français le « droit d’être informé » en français.
Les Français avaient déjà tenté de codifier le droit au français. En 1975, la loi Bas-Lauriol a jeté les bases de l’obligation du français dans l’espace public, notamment en rendant obligatoire l’utilisation de mots français dans l’affichage public. Cependant, nombreux sont ceux qui estiment que l’esprit de la loi n’a pas été appliqué, et à l’approche de 1992, la pression monte pour préserver l’avenir de la langue française.
Que couvre la loi ?
La loi Toubon couvre trois domaines principaux : le travail, la publicité et les communications publiques.
Travail – Les employeurs doivent utiliser la langue française pour tout document décrivant les attentes des travailleurs (en particulier si ces attentes ont trait à leur rémunération), ce qui inclut les contrats de travail. Il existe quelques exceptions à la loi – par exemple, si l’employé lui-même n’est pas français ou si l’entreprise travaille dans le transport aérien (un secteur dont le caractère international exige l’utilisation d’une langue commune, qui est généralement l’anglais).
Publicité et marketing – Les entreprises sont autorisées à utiliser des mots ou des phrases dans des langues autres que le français, mais doivent les traduire en français. Cela s’applique également à la publicité audiovisuelle, exigeant que le français soit aussi « lisible, audible et intelligible que celui des langues étrangères. »
Communications publiques – tout type de publicité ou de campagne d’information publiée par un gouvernement local ou régional doit être en français, bien qu’il soit permis de fournir des informations traduites dans une autre langue si elles visent un groupe spécifique – par exemple, le site Web de la carte de résidence post-Brexit pour les Britanniques en France était disponible en français et en anglais.
En outre, la loi exige que le français reste la langue d’enseignement dans les établissements d’enseignement publics et privés en France – bien qu’il existe des exceptions pour les écoles bilingues et les écoles internationales telles que l’American School of Paris.
Et que ne couvre-t-elle pas ?
Vous serez soulagé d’apprendre que la conversation en anglais n’est pas couverte par la loi, vous pouvez légalement discuter en anglais avec quiconque veut bien vous écouter.
Pour les annonces publiques ou les avis dans une entreprise, l’utilisation de l’anglais est acceptable, à condition que l’information soit également disponible en français.
L’anglais est-il vraiment utilisé en France ?
Selon une étude réalisée par le Crédoc en 2021, près d’un tiers des travailleurs français utilisent une langue étrangère sur leur lieu de travail, et parmi ces personnes, 84 % utilisent l’anglais.
Cela inclut les personnes qui travaillent dans les zones touristiques, comme le personnel de service et les vendeurs, qui parlent fréquemment anglais pour mieux communiquer avec leurs clients étrangers.
Il s’agit également des personnes qui travaillent dans des organisations internationales et de celles qui évoluent dans un environnement où le jargon anglais est très présent, comme dans les industries technologiques.
Agnès Vandevelde-Rougale, socio-anthropologue à l’université de Paris-Diderot, a déclaré au Monde : « Les pratiques linguistiques changent, et les termes français décrétés par les institutions ne seront pas compris parce que les mots anglais font partie de la langue dominante.
« Quand les salariés des multinationales ou des start-up parlent de leur travail à l’extérieur de l’entreprise, ils choisissent des mots qu’ils utilisent tous les jours dans l’entreprise. »
Quelles sont les sanctions pour l’anglais illégal ?
Plusieurs organismes existent pour protéger la langue française de l’empiètement de l’anglais, comme l’Académie française, le ministère de la Culture et l’Association Francophonie Avenir, qui intente des procès aux entreprises françaises qui enfreignent les règles de la loi Toubon.
Et le non-respect de la loi peut entraîner une amende – généralement fixée à 135 € – avec une sanction maximale de 3 750 €. Mais il est rare que la sanction soit réellement appliquée.
Il n’y a généralement qu’une trentaine de sanctions prononcées par an – bien que les tribunaux puissent ordonner aux entreprises de traduire les documents en français – et le mécanisme d’application de la loi est assez faible.
Les procureurs ne sont pas obligés de donner suite aux plaintes, car l’infraction ne nécessite pas de procédure pénale. La plupart des affaires qui aboutissent devant les tribunaux sont donc des poursuites privées.
Dans la pratique, il est donc difficile de tenir quelqu’un pour responsable d’un manquement au « droit au français ».
L’équipe de la rédaction